La conservatrice-restauratrice d’œuvres peintes, Béatrice Bayer Bayle, dont l’atelier est installé à Colombier en Dordogne, a aimablement accepté de témoigner de son intervention sur l’œuvre Ruines sur le Tage au printemps 2022, conservée à l’établissement Saint-Joseph de Sarlat auquel l’artiste Lucien de Maleville en avait fait don en 1938.
Le métier de la restauration d’oeuvre d’art souvent décrit comme un métier artistique dans l’entendement commun est en fait de tout autre nature.
Nous sommes des techniciens formés à comprendre les propriétés physico-chimiques des matériaux constitutifs des oeuvres et à appréhender leurs interactions avec l’environnement afin de prévenir leur dégradation et d’assurer leur conservation à long terme. Notre regard sur les oeuvres est donc particulier et forgé par une pratique manuelle acquise par l’expérience et guidée par des méthodologies scientifiques rationnelles. Nous choisissons nos matériaux selon des critères de stabilité et de réversibilité correspondant à notre charte déontologique. Nous nous appliquons tant que possible à des interventions minimalistes de sorte à respecter la matière originale et l’intention de l’artiste.
Bien sûr nous avons une sensibilité artistique qui nous a inspiré à choisir ce métier, mais la partie créative ou ingénieuse se limite à la résolution des problèmes de vieillissement des matériaux et à concilier la demande des propriétaires avec l’environnement de conservation.
Lucien de Maleville est connu pour ses paysages périgourdins dans un style impressionniste avec un bel effet de matière réalisé par empâtements et en demi-pâte au couteau et au pinceau. Il travaillait par superposition de matière et contrastait les ombres avec des glacis. Comme la plupart des artistes modernes, il employait des toiles préparées et tendues sur châssis industriellement.
Le défi de la restauration
La restauration du tableau « Ruines sur le Tage » fut un défi durant lequel nous avons rencontré quelques difficultés. Les nombreux soulèvements de la couche picturale apparus sur le tableau sont dûs à une toile très réactive aux variations hygrométriques soutenant une couche de peinture épaisse qui, par son vieillissement, devient de plus en plus rigide et incapable de suivre les mouvements de la toile. D’abords se forment les craquelures, puis des soulèvements, jusqu’à ce que ces derniers se détachent et occasionnent des lacunes.
Heureusement l’association nous a contacté à un stade de dégradation où les lacunes n’étaient pas encore très nombreuses. Avant le transport, les soulèvements étaient maintenus par un papier de protection collé avec colle légère.
Il n’a pas suffi de refixer localement la peinture par la face comme prévu au départ, puisque nous avons vu réapparaître les soulèvements au bout de quelques jours. Après plusieurs tentatives de refixage, nous avons choisi de démonter l’oeuvre et de procéder à une imprégnation de la toile pour refixer la couche picturale par le revers. Cette imprégnation avec une résine acrylique avait également comme fonction de rendre la toile moins réactive aux variations hygrométriques. C’est une considération à prendre en compte au vue du lieu de conservation, le collège Saint Joseph qui, contrairement aux musées, ne dispose pas d’une hygrométrie régulée. Nous avons également posé une protection du revers en toile polyester pour protéger l’œuvre de la poussière et des chocs de l’arrière, mais également amortir tant que peu ces variations hygrométriques.
Espérons que ces mesures de prévention suffiront pour stabiliser cette belle oeuvre dans le temps.
Le masticage et la réintégration des lacunes est la partie la plus agréable, car elle permet de retrouver une bonne lisibilité de l’oeuvre sans que l’oeil du spectateur soit heurté par les lacunes. La plupart des interventions demandent une grande concentration et de la patience. Comme disait Paul Morand: « Le temps ne respect pas ce qui se fait sans lui », un adage qui correspond si bien à notre métier.
Béatrice Bayer-Bayle
Pour en savoir plus :
www.restauration-tableaux-dordogne.fr