Lucien de Maleville et la polio
Par le docteur Joëlle DELPECH-BOURSIER
Docteur en médecine, administratrice de l’association Lucien de Maleville.
Ceux qui ont eu la possibilité de connaître Lucien de Maleville savent qu’il avait des difficultés de motricité de son membre supérieur gauche. Les archives que l’Association Lucien de Maleville gère contiennent des lettres de médecins et en particulier du Dr Albert de Molènes, ami de la famille de Maleville. Ces lettres qui datent des années 1882-1883, décrivent de manière très détaillée la symptomatologie que le bébé, alors âgé de 11 mois, présente.
Réponse du Dr Parrot, 3 janvier 1883
Le diagnostic porté par le Dr de Molènes est celui de paralysie spinale infantile incomplète, maladie que l’on appellera plus tard la poliomyélite.
Cette maladie n’était pas rare avant la possibilité de vaccination autour des années 1955.
Elle sévissait le plus souvent par petites épidémies estivo-automnales, atteignant les jeunes enfants mais parfois aussi les adolescents et les jeunes adultes de manière alors plus sévère. Mais on connaitra aussi des grandes épidémies, en particulier celle entre 1957-1959 amenant à la vaccination, découverte dans les années 1955, et devenue obligatoire en France en 1964.
La maladie a bien été décrite dès les années 1840 par un allemand Jacob Heine et aussi un suédois Karl Oscar Medin dans les années 1890. Le virus fut isolé en 1949.
La poliomyélite se transmet par voie directe (voie rhinopharyngée ou digestive) ou par voie indirecte par les eaux, les aliments infectés, par les mouches… Le réservoir du virus est l’homme.
La plupart du temps la maladie est asymptomatique mais la personne infectée est contagieuse.
Elle se manifeste par une paralysie flasque, avec des muscles hypotoniques. Cette paralysie est le plus souvent limitée et asymétrique. Il n’y a pas de trouble de la sensibilité. Mais des douleurs existent.
L’évolution va vers une régression mais pas vraiment vers une récupération totale. Des troubles de la croissance peuvent survenir.
Le meilleur traitement est le traitement préventif qu’est la vaccination qui n’existait pas à l’époque de la jeunesse de Lucien de Maleville. La vaccination que l’on pratiquait à l’époque était celle contre la variole, maladie qui a été par la suite éradiquée du monde. On espérait la même chose pour la poliomyélite mais la maladie existe encore dans certains pays.
Lucien de Maleville a contracté cette maladie très jeune. Il avait 11 mois.
Le Dr de Molène décrit un enfant qui ne dort plus (vraisemblablement en raison des douleurs) et qui présente un bras gauche inerte le long du corps. Il semble que les muscles de l’épaule et du bras ne peuvent plus agir alors que ceux de l’avant-bras se contractent et que Lucien peut saisir les objets présentés dans sa main.
Le traitement consiste alors à des frictions avec un baume, des douches, et à une électrisation.
L’enfant rapidement se remet à dormir et à manger correctement (sans doute les douleurs s’atténuent-elles ou disparaissent).
Puis les muscles de l’épaule se remettent à se contracter mais pas complètement. Par les mouvements possibles de celle-ci, le bras gauche peut être porté en avant ; mais les muscles de ce bras demeurent inertes. La main peut saisir les objets.
Comment Lucien de Maleville, droitier, a vécu cette infirmité ?
Sans écrit de sa part, il est difficile de se faire une idée de la question.
Toutefois, on peut noter que son handicap, d’après la description du Dr de Molène, ne l’a pas empêché de se servir partiellement de son bras gauche. De plus, son infirmité est apparue alors qu’il était encore bébé. Il a toujours vécu avec, et l’on sait la faculté d’adaptabilité qu’ont les enfants et leur possibilité de stratégie pour arriver à compenser un handicap.
En regardant attentivement les photos représentant Lucien de Maleville, dans son atelier ou devant l’une de ses créations, rien ne laisse entrevoir une malformation du bras gauche ou une attitude qui pourrait suggérer une difficulté motrice. Mais les blouses ou les vestes de peintre que porte Lucien de Maleville sont suffisamment larges pour ne rien laisser transparaitre. D’ailleurs, d’après les témoignages de leur vivant de son épouse et de ses enfants, il ne voulait pas montrer son bras, même à ses proches.
On peut imaginer que pour aller en extérieur, le port du matériel devait être un peu plus difficile. Dans son livre « la folle avoine », Guy Georgy raconte sa rencontre avec Lucien de Maleville qu’il ne connaissait pas, près du chemin du Bos. Il l’observa un long moment peindre le coteau de Fondaumier. Lorsque le jeune Guy fit part de cette rencontre à sa famille et décrivit le personnage, il ne fit pas mention de l’état du bras gauche du peintre.
Son atrophie partielle lui vaut d’être classé dans les services auxiliaires et d’être dispensé du service militaire mais c’est bien comme conducteur automobile qu’il est mobilisé jusqu’à mars 1919 rapportant de nombreux croquis de soldats et d’édifices, témoins des effets destructeurs du conflit sur l’homme et sur le patrimoine architectural.
On peut donc penser que l’infirmité de Lucien de Maleville, apparue très tôt dans sa vie, et relativement limitée n’a pas été une grande gêne dans la création du peintre, comme dans ses différents engagements, en particulier pendant la guerre de 1914-1918.