Entretien avec Olivia de Maleville, petite-fille de Lucien de Maleville et présidente de l’association Lucien de Maleville
Vous avez fait don de deux œuvres de votre grand-père Lucien de Maleville à l’association Lucien de Maleville (ALDM), pourquoi cette démarche ?
Les administrateurs ont tout de suite été enthousiastes. L’ALDM dispose déjà d’un fonds propre d’œuvres qui lui ont été données par des membres soucieux de leur conservation et du rôle que pourrait être amené à jouer l’association pour défendre et faire connaître l’œuvre de cet artiste postimpressionniste. On peut citer par exemple un exemplaire du Cahier des charges de 1909, un album de caricatures de personnalités de l’époque, réalisé par un Maleville déjà très fantaisiste dans sa jeunesse, donné en 2007 par Bernard Monégier du Sorbier dont le père est caricaturé.
Mon grand-père Lucien avait lui-même fait don en 1938, juste avant la guerre, de cinq œuvres aux écoles de Cénac (L’orage en Sardalais), de La Roque Gageac (Matinée d’automne à La Roque Gageac), de Domme (Vue de Beynac, Vue du château de Montfort) et au collège Saint-Joseph de Sarlat où il enseignait alors le dessin (Ruines sur le Tage, prix de la Société des paysagistes français). Certains de nos membres écoliers de ces établissements se souviennent encore des œuvres accrochées sur le mur de la salle de classe au-dessus du bureau de l’instituteur, au travers desquelles ils s’évadaient…
C’est une façon pour moi de poursuivre la démarche car les œuvres ont vocation à être vues et connues et font partie de notre patrimoine commun. Surtout, elles nous transmettent des émotions et nous invitent à ces moments d’évasion et de rêveries dans la période difficile que nous traversons.
Pourquoi avoir choisi « La fileuse », une œuvre datée d’août 1908 ?
Cette peinture à l’huile importante parmi le thème de la vie rurale très présent dans l’œuvre de Lucien représente un des vieux métiers disparus du Périgord auxquels mon grand-père s’intéressait particulièrement. Avec ma grand-mère, il a réalisé de nombreuses recherches et compilé des documents inédits (photographies, plaques de verre, archives) que nous avons retrouvés dans le fonds d’atelier que gère l’association depuis 2017 qui a été archivé cette année.
J’ai été très émue lorsque notre archiviste Manon Migot a ressorti du fonds de mon grand-père les écrits et documents préparatoires à cette œuvre. Cette fileuse a donc un nom – La Rouzière-, un âge – 67 ans-, un lieu de vie – Turnac-, et nous apprenons même qu’elle est borgne de l’œil droit. Cette mention manuscrite de celui que nous appelons « Papalou » dans l’intimité familiale n’est pas anodine puisqu’il était lui-même handicapé, avec un bras gauche atrophié des suites d’une poliomyélite contractée dans sa première année de vie. On peut être borgne et filer, on peut être paralysé et peindre : à chacun de développer son talent et son métier selon ses possibilités !
Cette œuvre est enfin un exemple emblématique de l’attention portée par Maleville aux êtres qui l’entouraient et sa conscience que l’art préserve et transmet.
L’autre œuvre « La Place à Saint Côme (Aveyron) » est très différente…
Il s’agit d’une peinture de paysage réalisée lors d’un voyage d’études dans l’Aveyron où Lucien de Maleville et son maître Louis Marie Désiré-Lucas, peintre paysagiste breton, posaient leur chevalet côte à côte, à Figeac, Conques, Estaing, Espalion,…
On ne peut comprendre l’œuvre de Maleville qu’au travers de ses nombreuses relations artistiques, de ceux qui ont influencé et conseillé son art depuis Léon Félix à Périgueux, à l’atelier de Jean-Paul Laurens à l’Académie Julian à Paris, etc. Son œuvre s’inscrit dans un courant de peinture postimpressioniste centré sur la quête de la lumière.
Dans le fonds d’atelier, les notes d’art de Lucien, ses carnets de voyages d’études, ses correspondances artistiques témoignent des sources d’inspiration. En tant que peintre régionaliste, que ce soit dans l’Aveyron, en Périgord ou dans les autres régions où il a peint (Paris et banlieue, Landes et Gironde, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Hérault, Maine-et-Loire, Bretagne…), c’est le même regard que Maleville a posé sur la nature environnante, choisissant souvent un lieu représentatif comme ici cette charmante place à Saint Côme.
Où et quand ces œuvres pourront-elles être vues ?
Au plus tôt j’espère ! Nous sommes en discussion avec le Musée d’art et de traditions populaires de Domme pour y exposer temporairement La fileuse dès 2021.
A termes, mon vœu le plus cher serait que l’œuvre de notre maître régional puisse être vue de façon permanente. Nous y travaillons déjà…
Source : Entretien publié par l’hebdomadaire L’Essor sarladais du 8 janvier 2021.
Légendes
La fileuse, huile sur panneau, 41 x 33 cm, août 1908, non signée. n° au catalogue raisonné : 8.1-01. Mention manuscrite au verso « août 08 ». Crédit : Association Lucien de Maleville.
La fileuse, photographie, vers 1908. Crédit : Association Lucien de Maleville.
La fileuse, croquis pour le tableau, vers 1908. Crédit : Association Lucien de Maleville
Place à Saint-Côme (Aveyron), huile sur carton, 38 x 55 cm, non signée. n° au catalogue raisonné : 1.17.11
Louis-Marie Désiré-Lucas (1869-1949) : Saint-Côme en Aveyron, technique mixte sur papier, 13x 16 cm.